LE STRABISME
DANS L’ ART ANCIEN :
QUESTIONS ET INTERPRÉTATIONS
Si la prévalence du strabisme est estimée entre 1 et 2,5 % de la population, il n’y a rien d’étonnant à retrouver dans l’histoire de l’art un certain nombre de portraits, d’autoportraits et de sculptures présentant un tel trouble visuel. Plusieurs études se sont penchées ces dernières années sur la représentation de ces strabismes, mais aussi et surtout sur leur signification, avec des conclusions souvent divergentes.
Plusieurs grands peintres se sont eux-mêmes représentés avec un strabisme plus ou moins prononcé, à l’image de Rembrandt ou de Dürer. Plus près de nous, le Viennois Egon Schiele a réalisé quelques autoportraits le montrant en train de loucher, sans que l’on sache s’il s’agissait de la réalité ou d’un clin d’œil sur son nom, Schiele signifiant loucher en allemand.
Si certaines représentations du strabisme se veulent un re et dèle de la réalité vue par le peintre, d’autres revêtent aussi une signification symbolique ou mystique. Début 2018, une professeure honoraire d’ophtalmologie de Salzbourg, Elfriede Stangler-Zuschrott, a publié une très belle étude sur les strabismes dans la sculpture religieuse occidentale. Quasi inexistants dans l’art antique comme dans la sculpture romane, les strabismes se multiplient au contraire, y compris chez le Christ et la Vierge, à partir de l’époque gothique. Tout en s’inspirant sans doute des strabismes qu’ils pouvaient voir autour d’eux, les sculpteurs d’alors auraient utilisé ces anomalies visuelles pour accentuer le caractère dramatique de leurs œuvres, mais aussi pour révéler l’état particulier des sujets, dans une autre dimension « entre » la vie et la mort. Les strabismes divergents suggèrent que le sujet regarde dans deux directions en même temps, à la fois divine et terrestre. On retrouve cette utilisation du strabisme dans la sculpture baroque, mais elle disparait ensuite de l’art officiel et religieux.
